• Des routes ~1~

     

     

    l'autre jour je me suis arrêtée
    sur le bord de la route
    comme si
    j'avais besoin de prendre mon souffle
    avant d'entamer la traversée
    comme s'il
    avait fallu plutôt la faire à pied
    marcher au pas d'un arbre
    comme si
    chaque arbre allait me délivrer
    d'un souvenir trop lourd à porter

     

    et j'ai vu me racontant l'exode ma grand-mère
    mêlée aux files des migrants d'aujourd'hui
    des armées en déroute
    tous ces arbres qu'on a plantés là
    qui nous disent où l'on va
    et j'ai suffoqué encore entendant
    le grand arbre craquer*

     

     je suis remontée
    et j'ai tourné la clé
    et je suis repartie dans le bon sens
    parce qu'aujourd'hui la folie ça ne marche pas
    aujourd'hui la folie on la roule

     

     

     

     

     

     

    Mon père, ce héros au sourire si doux, Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Parcourait à cheval, le soir d'une bataille, Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit. C'était un Espagnol de l'armée en déroute Qui se traînait sanglant sur le bord de la route, Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié. Et qui disait: " A boire! à boire par pitié ! " Mon père, ému, tendit à son housard fidèle Une gourde de rhum qui pendait à sa selle, Et dit: "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. " Tout à coup, au moment où le housard baissé Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure, Saisit un pistolet qu'il étreignait encore, Et vise au front mon père en criant: "Caramba! " Le coup passa si près que le chapeau tomba Et que le cheval fit un écart en arrière. " Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.

     

     

     

     

    Photo : une route près de chez moi
    à la souris : Après la bataille, Victor Hugo.

    « Un roseau vert entre les dentsSoir de Loire »

  • Commentaires

    1
    Mardi 1er Décembre 2015 à 12:28

    *au milieu de la nuit, il y a longtemps, réveillée en suffoquant au bruit assourdissant d'un grand arbre qui se brisait.

    Le matin j'ai appris au téléphone que mon père (sans aucun signe avant coureur) était mort au moment précis de mon cauchemar.

    Il m'est revenu en mémoire deux vers de Victor Hugo :

    Mon père, ce héros au sourire si doux et Le coup passa si près que le chapeau tomba

    J'ai recherché le poème entier sur le net, vous pouvez le lire en passant la souris sur la photo. D'actualité, ce texte...

    2
    Mardi 1er Décembre 2015 à 13:09

    Je n'aime pas ces arbres bien rangés façonnés par la main de l'homme, mais ta photo est très belle.

     

    Bises Claire

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 01:36

        Mais tu as vu comme ils repoussent effrontément ?

        Certains arbres m'amusent avec les doigts d'honneur sortant de leurs moignons après chaque taille !...

    3
    Mardi 1er Décembre 2015 à 13:28

    Il y a parfois des virages difficiles à négocier, dangereux, voire...

    Ton histoire est troublante

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 01:47

        Et trois ans plus tard, un grand cyprès dans le jardin été cassé en deux par une tempête.

        Ma grand-mère derrière la porte-fenêtre du balcon le regardait d'un air pensif,

        comment dire, attristée et envieuse à la fois, et dans la semaine qui a suivi elle est morte calmement dans son fauteuil.

    4
    Mardi 1er Décembre 2015 à 13:34

    On dit que l'Histoire est un éternel recommencement...  d'actualité, oui, le poème et ton billet tout entier.

    Et puis les arbres. Les arbres nous disent où l'on va et c'est terrible lorsque le plus solide, celui que l'on ne pouvait pas imaginer vulnérable, "craque"... 
    Poignant.

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 01:49

        Alma...C'est tellement troublant...tu ne pouvais pas le savoir mais ton dernier mot, c'était le nom de mon père...

    5
    Mardi 1er Décembre 2015 à 13:42

    Très beau texte et une image qui donne envie de balade.
    Bonne journée

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 01:51

        Envie de balade...une année je me suis fait un itinéraire en Allemagne regroupant un maximum de "Straßenalleen"

        (des routes bordées d'arbres très anciens)

    6
    Mardi 1er Décembre 2015 à 14:40

    Un texte prenant

    Des mots qui résonnent

    Une image sinueuse sur le chemin

    Belle journée à toi

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 01:52

        Oui le chemin est souvent sinueux ;-)

    7
    Mardi 1er Décembre 2015 à 16:07

    Très sympa ce cadrage, j'aime ce texte en accompagnement .

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 01:54

        Merci Miss smile

    8
    Mardi 1er Décembre 2015 à 19:22

    Les arbres sont nos Anges Gardiens

    parfois ils s'envolent

    nous laissant retourner à la source de la Vie

     

    Amitié Mélanite

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 02:00

        yes C'est méchant peut-être mais j'aime bien faire envoler mon noisetier les soirs d'été !

        (je vais sous l'arbre, je frappe un coup dans mes mains et frrrrrrrrrrrr, une voilée de moineaux s'en envole !!)

        Bon, deux minutes après ils sont renichés...

    9
    Mercredi 2 Décembre 2015 à 07:04

    Oh...Mais ton récit était si émouvant et fort et je me suis sentie si proche, que peut-être tout s'explique par cette profonde empathie...tout "simplement".

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 18:51

        Même approche que toi, effectivement. Je suis naturellement réfractaire au surnaturel, mais je crois à l'empathie et à la communication non verbale, et si c'est aussi difficile à expliquer, au moins on en a des exemples dans la vie de tous les jours.

    10
    Etoile
    Mercredi 2 Décembre 2015 à 09:07
    Quand
    Plié le temps
    Sous poids
    Des années
    L'instant
    S'envolé
    Vers
    Un ailleurs
    Sonnant...
    Et la ligne
    Défilé
    Sous
    Le regard
    Nostalgique...
      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 18:53

        Cette ligne pointillée qui défile, elle me fascinait lorsque je voyageais, enfant, allongée sur la banquette arrière de la voiture...

    11
    Mercredi 2 Décembre 2015 à 09:16

     Texte, images et commentaire*, beaux et chargés d'émotion. Je ne savais pas-ou j'ai oublié- pour ta grand'mère!

    Je fais le voeu pieux que la COP 21 mette un frein et que ce ne soit pas la  déroute en ce qui concerne l'avenir des grandes forêts menacées de disparition...

    Bisous , mon Alter. A bientôt, j'espère..!

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 18:58

        Ma grand-mère...

        Lorsque j'étais enfant elle m'emmenait promener "aux trois arbres" à la sortie de mon village, alors qu'il n'y en avait plus que deux.

        Lorsque j'ai eu mon premier enfant, promenade avec le landau, elle m'accompagnait "aux trois arbres" alors qu'il n'y en avait plus qu'un.

        La dernière fois que je suis passée au village, j'ai eu du mal à reconnaître l'endroit des "trois arbres", il n'y en a plus.

        Heureusement il y a le carrefour, c'est toujours le carrefour des "trois arbres"...

    12
    Mercredi 2 Décembre 2015 à 16:04

    Un texte qui laisse perplexe...La prémonition me trouble...

    La photo est très belle

    Merci 

      • Mercredi 2 Décembre 2015 à 19:10

        Je ne crois pas aux prémonitions...ici en l'occurrence c'était juste une monition ;-)

        Comme j'ai répondu à Almanito, on est parfois si proche, par l'esprit, de quelqu'un, qu'on reçoit des informations à distance.

        Je l'ai constaté avec et chez mes enfants, avant l'âge de la parole. Avec mes animaux aussi, sans limite d'âge !...

         

    13
    Mercredi 2 Décembre 2015 à 22:30

    Parfois la Nature nous fait un petit wink2

    Nous vivons dans la nature

    la nature vit en nous

    faisons attention de ne pas perdre ce lien

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    14
    Etoile
    Jeudi 3 Décembre 2015 à 09:51
    Au fil
    Pointillé
    Du temps
    Passé
    S'accroché
    Les fleurs
    Du silence
    La nature
    Est Vie
    Dans le ciel
    Elle explosé
    Ses feeries
    15
    Dimanche 13 Décembre 2015 à 18:51

    Belle route dangereuse au contour. Si tu loupes le virage, l'arbre lui, ne te loupera pas.

    Dans ce récit, Vitor Hugo donne un exemple d'empathie sans condition.

    16
    Jeudi 17 Décembre 2015 à 06:59

    le plat pays qui est le tien. mais ton imagination est un voyage sans limite au-delà de l'horizon

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